vendredi 4 mars 2011

Aide humanitaire version 2011

Bonjour,

Je vous partage un extrait du livre le plus extraordinaire - je crois - qu'il m'ait été donné de lire, mis à part "Mille soleils" de Dominique Lapierre. C'est très inspirant. Comment aider les gens, d'une façon saine qui leur permet de reprendre leur pouvoir.

Extrait du livre « L’Âme de l’argent »,
de Lynne Twist

Les Sept Magnifiques

Le Bangladesh est une nation asiatique comptant plus de 130 millions d’habitants sur une superficie de la dimension de l’Iowa. C’était autrefois une terre d’abondance, couverte de forêts tropicales luxuriantes recelant une diversité de plantes et d’espèces animales, et foisonnant de ressources naturelles. Dans les années 1900, le territoire fut dépouillé de ses forêts par des puissances étrangères, qui s’en allèrent ensuite. Le pays fut dévasté par la guerre et les conséquences des mauvaises politiques d’attribution des terres. Du fait de la disparition des arbres et de la végétation jadis florissante, des inondations saisonnières vinrent encore éprouver le pays et son peuple. Deuxième nation la plus pauvre du monde, d’après un rapport des Nations unies datant de la fin des années 1970, le Bangladesh devint le récipiendaire d’un autre type d’inondation : une affluence de secours. Sur une brève période, ce pays devint presque totalement dépendant de sources extérieures. Considéré par le reste du monde comme un gigantesque bol de mendiant, il était également perçu ainsi par ses propres habitants. Les Bangladais avaient acquis la certitude qu’ils étaient un peuple désespéré, incapable, et qui devait dépendre d’autrui pour le minimum vital.

Au cours de ce cycle de désintégration des villages et des communautés, les villageois du district de Sylhet baissèrent les bras. Ils prévoyaient soit de quitter la région pour chercher ailleurs leur subsistance, soit d’envoyer les hommes vers des villes ou des agglomérations plus importantes afin qu’ils y trouvent du travail et puissent nourrir leur famille. Sylhet est situé dans la région montagneuse du nord du Bangladesh et son élévation lui permet d’échapper aux inondations qui submergent périodiquement les vallées. Ces hauteurs sèches étaient depuis longtemps envahies par une jungle de broussailles épineuses, un type de plante donnant des baies empoisonnées et dont les arbustes enchevêtrés ressemblent à un immense carré d’églantiers, inaccessible, inextricable et dangereux. Une zone envahie avait été désignée propriété gouvernementale et les paysans n’avaient pas l’autorisation de la développer. Cependant, ces arbustes épineux et vénéneux s’étendaient et empiétaient sur les minuscules lopins de terre que les villageois tentaient de cultiver, étouffant les cultures et empoisonnant le sol.

Des générations de villageois avaient tiré une maigre subsistance des lots minuscules que le gouvernement leur avait accorés, mais la tâche s’avérait peu à peu impossible. Les jeunes mendiaient sur les routes et se livraient au vol. La criminalité sévissait. Un jour vint où les villageois renoncèrent à leurs terres improductives, prêts à prendre des mesures draconiennes. Plusieurs s’apprêtaient à quitter le village et à s’installer ailleurs avec leur famille; d’autres renonçaient à garder intacte l’unité familiale et les hommes étaient envoyés à l’extérieur, en quête de travail. Les conversations entre villageois prirent un caractère urgent et pragmatique. Où pouvaient-ils aller? Où envoyer leurs hommes pour qu’ils réussissent à subvenir aux besoins de leur famille? On parlait aussi de solliciter l’aide des États-Unis pour acheter de la nourriture et d’autres biens sans avoir à travailler. Les gens de Sylhet avaient donc baissé les bras. Épuisés et résignés, ils avaient l’impression que quelqu’un d’autre, quelque part ailleurs, devait détenir la réponse à leur problème, car ils ne pouvaient tout simplement pas la trouver seuls. A cette époque, The Hunger Project s’impliquait plus activement au Bangladesh. Les agences d’aide indépendantes y abondaient, et elles accomplissaient un travail héroïque et inspirant. Néanmoins, les initiatives qui semblaient apporter des améliorations durables provenaient des Bangladais eux-mêmes. La désormais célèbre Grameen Bank, créée par le docteur Muhammed Yunus, est un programme de microcrédit procurant des prêts à des petites entreprises gérées par des femmes travaillantes, mais démunies; et le BRAC, une action pour développer les villages, conçue par le leader bangladais Faisal Abed, a connu un succès retentissant là où des étrangers connaissant mal le peuple avaient échoué.

Ces réussites et ces expériences dans d’autres régions nous avaient confortés dans notre certitude que les Bangladais eux-mêmes possédaient la clef de leur développement et que l’aide extérieure faisait systématiquement d’eux des mendiants sur le plan psychologique, plutôt que les auteurs de leur culture.

Comme première étape dans l’établissement d’un partenariat efficace, nous avons examiné ensemble étroitement la culture des Bangladais, leurs attitudes et leurs croyances quant à leurs propres capacités, ainsi que leur résignation et leur désespoir. Il était évident que, après tant d’années à vivre de l’aide internationale, les gens avaient perdu le sentiment de leur compétence et toute vision d’un pays capable de réussir. Lors de nos rencontres, les dirigeants bangladais ont déterminé que ce qui manquait, ce dont l’apport permettrait à leur peuple de retrouver l’autosuffisance, c’était une vision de leurs atouts et leurs aptitudes. The Hunger Project s’engagea donc, en tant que partenaire, à élaborer un programme visant à permettre aux Bangladais de retrouver une vision d’eux-mêmes et de leur pays, avec la conscience des avantages se trouvant à leur disposition et des stratégies nécessaires pour réaliser leurs projets. De ce partenariat naquit le Vision, Commitment and Action Workshop, dont les participants devaient s’impliquer dans une série de groupes de discussion et se livrer à des exercices de visualisation où l’on envisagerait un Bangladesh autosuffisant, autonome : le Bangladesh sain et prospère pour lequel ils avaient combattu lors de leur lutte pour l’indépendance.

Au Bangladesh, n’importe quel type de réunion attire des centaines, voire des milliers de gens. On se rassemble souvent dans les parcs et les places des villages. Dacca, la capitale, possède un jardin public pouvant contenir plus de mille personnes, et c’est là que nous avons lancé certains des premiers ateliers de « Vision, engagement et action ». Nous annoncions l’assemblée et, à l’heure dite, le parc était bondé. Ce lieu n’était pourtant pas une délicieuse retraite pastorale, mais un enclos où l’herbe poussait à peine, et il se trouvait soudainement rempli de centaines de ces merveilleux Bangladais au teint cuivré, serrés les uns contre les autres, avec des bébés et de jeunes enfants. Tous étaient assis et buvaient avidement nos paroles, attentifs à tout ce qui était susceptible de leur être utile.

Le programme débutait par de la musique, quelques présentations, des paroles inspirées des dirigeants communautaires et quelques exercices interactifs de départ afin d’amener l’énergie de la foule à se focaliser sur la tâche à accomplir. Nous entamions ensuite la visualisation; chacun était invité à fermer les yeux et à imaginer à quoi ressemblerait un Bangladesh autonome et autosuffisant.

A quoi donc ressemblerait un Bangladesh qui exporterait des produits de la meilleure qualité? A quoi ressemblerait un Bangladesh renommé pour son art, sa musique et sa poésie? A quoi ressemblerait un Bangladesh qui serait membre contributeur de la communauté globale, plutôt que son plus important bénéficiaire? A quoi ressemblerait un Bangladesh où les dirigeants, femmes, hommes et jeunes gens, apporteraient leur contribution à la société?

Au début, les gens demeuraient immobiles, les yeux clos, le visage dénué d’expression. Un grand silence recouvrait la foule, perdue dans ses pensées. Après quelques minutes, j’ai remarqué des larmes coulant sur la figure d’un homme, puis sur celle d’un autre, puis un troisième. Les yeux toujours fermés, ils pleuraient en silence. Puis ce ne fut plus trois ou quatre, ni dix ni vingt figures baignées de larmes. Parmi cette foule de milliers de personnes, il y avait des centaines de visages larmoyants. C’était comme si, au cours de toute leur existence, ils n’avaient jamais songé qu’ils pouvaient être autonomes et autosuffisants, et constituer une nation participante. Ils n’avaient jamais imaginé que leur pays pourrait apporter quelque chose aux autres, ni que leur peuple pourrait se distinguer par d’admirables qualités et jouer un rôle unique dans la communauté internationale. C’était là une idée extraordinaire!

Après la méditation-visualisation, les participants partagèrent les visions qu’ils avaient construites pour leur village, leur famille, leurs écoles, leur chez-soi, leurs affaires, leurs enfants et leurs petits-enfants, donnant ainsi à ces visions une réalité aussi palpable qu’exaltante. L’étape suivante de l’atelier exigeait que les participants s’engagent à réaliser leur vision. Ils se débarrassèrent alors de leur peur et de leur anxiété, de leur sentiment d’insuffisance et d’inaptitude, pour assumer leur création et s’engager à la réaliser. Lors de cet exercice, leur posture et leur expression se modifièrent. Ils avaient visiblement acquis de la force. Leur détermination et leur volonté étaient contagieuses; l’impossible devenait possible. Pour finir, ils se répartirent en petits groupes afin d’élaborer ensemble les mesures à prendre pour concrétiser leur vision. Celles-ci étaient pragmatiques, locales, praticables, mais conformes à leurs nouveaux engagements et entièrement au service de leur vision. Chacun se réévaluait et reconsidérait sa famille, son village, son pays; désormais, ceux-ci lui paraissaient aptes, plein de ressources, et puissants, autonomes, autosuffisants.

Bientôt, nos ateliers se multiplièrent; on y faisait appel lors d’assemblées convoquées un peu partout, dans des villes ou des villages, voire au sein de familles. Et, chaque dimanche, le rituel se répétait au parc de Dacca.

Un jour, l’un des chefs d’un village de Sylhet vint assister, presque par erreur, à un atelier « Vision, engagement et action ». Ce chef, Zilu, rendait visite à son cousin en ville, et ce dernier le convia à venir au parc avec lui pour voir de quoi il retournait. Zilu n’avait aucune envie d’y aller. Il désirait discuter avec son cousin de la possibilité de s’installer chez lui avec sa famille, de partager sa maison, de sorte qu’ils puissent tous quitter leur village désolé; il avait bon espoir de dénicher du travail en ville et d’entamer ainsi une vie nouvelle. Cependant, le cousin réussit à le convaincre d’aller assister à l’atelier.

L’expérience offerte par le séminaire séduisit entièrement Zilu, qui prit conscience de son engagement envers son village et la communauté avoisinante. Il demeura à Dacca trois jours de plus pour participer à une formation lui permettant de diriger lui-même des ateliers, puis il rentra à Sylhet, avec pour bagages sa formation et sa vision.

De retour chez lui, il convoqua ses six meilleurs amis et leur présenta l’atelier. Désormais munis de cette vision partagée et d’un engagement sans bornes à développer les ressources humaines et naturelles de leur secteur, les sept hommes élaborèrent un projet novateur de commerce agricole qui avait pour but de sortir la région de l’indigence et de la mener éventuellement à la prospérité. Ils baptisèrent leur projet Chowtee : un pas courageux vers l’autonomie.

Je me suis rendue à Sylhet à peine quatre mois plus tard, en avril 1994, en compagnie de dix-sept importants donateurs du Hunger Project. Zilu nous avait invités pour nous faire voir les progrès accomplis par lui et ses amis dans la région et nous remercier pour ce que nous apportions à son pays et à son peuple. Lui-même et ses amis, que nous avons surnommés « Les Sept Magnifiques », nous racontèrent l’histoire de la métamorphose de leur région et nous montrèrent les résultats obtenus.

Zilu expliqua comment il était rentré de Dacca, après le séminaire, ce jour de décembre, et avait jeté un regard différent sur les ressources dont disposait son village. Il avait alors résolu de faire naître une vision, un engagement et un plan d’action. Une fois que ses six amis se furent aussi engagés, l’étape suivante consistait à évaluer les ressources qui avaient été négligées auparavant. En bordure de la ville se trouvaient les terres gouvernementales en jachère, ingrates et couvertes de ronces aux baies empoisonnées. Les sept hommes allèrent rencontrer des représentants du gouvernement et obtinrent l’autorisation de dégager dix-sept acres des enchevêtrements végétaux qui avaient envahi leurs terres. Ils s’adressèrent ensuite à la communauté afin d’obtenir les sommes requises pour se procurer équipements et fournitures. En soutien à l’initiative, les villageois puisèrent dans leurs maigres économies, et les hommes recueillirent ainsi les mille takas nécessaires – environ 750 dollars américains à l’époque. Pour finir, ils offrirent leur propre version de l’atelier Vision, Engagement et Action à 600 personnes de ce village de 18 000 âmes.

Ces 600 participants se mirent au travail, construisant une route le long de la bordure du champ et commençant à le dégager des broussailles. Impressionné par leur idée, leur clarté et leur dévouement, le gouvernement leur accorda encore une centaine d’acres à défricher. Aux jeunes qui s’étaient tournés vers le crime et la mendicité, ils apprirent à cultiver la terre et à élever des animaux. Ils formèrent des femmes indigentes, dont plusieurs veuves, aux techniques agricoles. Une fois le terrain dégagé, ils découvrirent, à leur grande surprise, un lac jusqu’alors inconnu ainsi qu’un ruisseau foisonnant de poissons.

La région tout entière était désormais cultivée, fournissant des denrées, du poisson, une formation et des emplois à des centaines de gens. L’ensemble des 18 000 habitants des environs avait profité de cette action; une zone qui était auparavant affligée par un dénuement sans espoir était en voie de devenir autosuffisante, voire prospère. Fait inouï, le taux de criminalité avait baissé de 70%!

Accompagnés des Sept Magnifiques et de Zilu, nous nous sommes baladés dans les champs cultivés, et avons visité les pêcheries et les zones de formation. Face à leur vitalité, à leur joie et à leur réussite, nous étions transportés de joie. En marchant à leurs côtés, j’ai pris conscience qu’ils avaient réalisé ce prodige pratiquement sans aucun apport extérieur. Dès le départ, ils avaient sous la main ce qu’il fallait : la terre, l’eau, l’intelligence, les muscles et la capacité de s’en sortir. Néanmoins, en raison de l’atmosphère induite par les secours au « tiers-monde », ainsi que leur impuissance et leur incompétence présumées, ils avaient perdu de vue ces ressources et ces aptitudes. Dès qu’ils eurent acquis une perception nouvelle d’eux-mêmes ainsi que le sentiment de constituer un peuple fort, habile et créatif, leur dévouement s’avéra sans bornes. La réussite était inévitable.

Mon regard embrassant ces champs, naguère une jungle de broussailles impénétrables, j’ai songé à nos propres existences et à ce qui recouvre le terroir de nos rêves, voilant temporairement notre vision intérieure ou notre capacité de voir. Dans leur monde, c’était la jungle, et le message déstabilisant des secours internationaux leur affirmait qu’ils étaient incomplets, nécessiteux et incapables de s’en sortir par eux-mêmes. Tant qu’ils y avaient cru, ils n’avaient pas vu les ressources qui se trouvaient juste là, à leur portée. Dès que leur attention s’était reportée sur leurs richesses intérieures illimitées, les ressources extérieures s’étaient matérialisées, soudainement accessibles.

Je n’ai jamais oublié les Sept Magnifiques. La mentalité de victime qui les écrasait peut aussi briser en vous toute faculté de rêver et de visualiser. Quand je m’aperçois que j’essaie d’atteindre ce qui est hors de ma portée, leurs paroles me reviennent à l’esprit. Je sais alors que si je peux réévaluer de l’intérieur et apprécier ce qui est déjà à ma disposition, son pouvoir et son utilité seront décuplés.

Bonne journée!

Lily

1 commentaire:

  1. Merci de nous partager ce magnifique texte très inspirant, C'est ce qui va se passer ce soir a la rencontre... nous allons rêver de notre monde idéal ensemble et commencer a marcher dans cette direction.
    Si ca marche pour les sept merveilles, ca marche aussi pour nous!

    Je te souhaite une magnifique journée
    Carolann

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