mercredi 14 octobre 2009

L'impact de la société de performance

Bonjour à tous,



Mercredi à Val-David.
Aujourd'hui, j'avais l'intention de vous parler de ma relation à mon amie Angèle avec qui, à l'époque, j'étais allée en thérapie relationnelle. Mais, ce matin, j'ai parlé à quelqu'un qui m'a raconté le suicide d'une de ses amies, une jeune femme que j'ai croisée à quelques reprises, qui semblait être une personne plutôt joyeuse. Que les apparences sont trompeuses!

J'ai beaucoup de tristesse en pensant à Kim Cousineau, cette jeune femme de 20 ans qui s'est enlevé la vie, qui avait perdu confiance, qui n'y croyait plus. Je crois qu'elle n'est pas la seule, actuellement. Je ressens le besoin d'en parler, afin qu'elle ne reste pas anonyme et aussi afin que son geste puisse servir à d'autres.

Cela a provoqué en moi une réflexion. Je connais bien cette "problématique", puisque j'ai fait un an et demi d'intervention téléphonique à Suicide-Action. Ce fut une des plus belles périodes de ma vie. Étrange, n'est-ce pas? Je me suis sentie tellement utile!

Je rentrais chez moi à pied, après ces soirées remplies d'une extrême intensité, et il m'arrivait de pleurer de joie, peu importe l'issue de mes interventions. J'en suis arrivée à ressentir une grande joie dans mon coeur simplement en me disant "J'étais là et j'ai donné le meilleur de moi-même". Malgré que je n'étais pas toujours satisfaite de la façon dont j'étais intervenue, des paroles que j'avais prononcées, invariablement, je ressentais une grande fierté devant l'effort accompli, le fait que j'offrais mon temps, mon énergie, mon écoute attentive et respectueuse, ma sensibilité, mon empathie. Il m'était facile d'être empathique et d'entrer dans l'univers de l'autre, puisque j'avais moi-même pensé au suicide à plus d'une reprise dans ma vie.

Je vous l'avoue candidement, puisque je prône l'authenticité, et également parce que ce qui m'a beaucoupé aidée à me l'avouer à moi-même, il y a plusieurs années, c'est d'avoir lu dans un livre de Guy Corneau qu'il pensait au suicide à chaque fois qu'il voyait arriver la maladie. J'ai été profondément émue que cet homme public que j'admirais beaucoup puisse se mettre ainsi à nu.

Ce qui m'a été le plus utile dans ce bénévolat, c'était ma capacité à me laisser ressentir les émotions qui faisaient surface en moi tout au long de mon intervention. Parfois, les larmes roulaient sur mes joues pendant que j'écoutais la personne, car ce qu'elle me partageait rejoignait une partie souffrante en moi. Cela me permettait d'évacuer au fur et à mesure. Lorsque j'arrivais à le faire, j'étais plus présente à l'autre. Je démontrais davantage de sensibilité. Mes paroles étaient plus pertinentes.

L'émotion la plus récurrente était un sentiment d'impuissance. Lorsque je demeurais en contact avec cette impuissance, j'arrivais à me détacher du résultat. Je pouvais intervenir avec plus de légèreté. Sinon, j'avais tendance à vouloir sauver l'autre. Quel contrat!

Tiens, parlons donc de résultats! Je pense que l'augmentation des suicides est directement reliée au fait que nous sommes une société de performance. La performance avant toute autre chose! Vite, vite... il faut entrer dans le moule, produire, appartenir, augmenter la marge de profits. Les gens plus vulnérables sont laissés pour compte. L'image est devenue tellement importante. À quel prix? Il devient difficile de demander de l'aide, de montrer sa vulnérabilité. On donne du Ritalin aux enfants afin qu'ils performent. On publie la liste des meilleures écoles. La pression est très forte.

La meilleure façon d'aider quelqu'un? L'écoute empathique. Pas de conseils. Avez-vous remarqué que, sauf exception, les gens ont réfléchi et sont fort conscients des solutions qui s'offrent à eux? Souvent, ils ne sont pas en mesure d'appliquer ces solutions immédiatement dans leur vie, pour toutes sortes de raisons, mais ils savent ce qu'ils ont à faire. Offrir des conseils à l'autre, c'est lui envoyer le message qu'il n'est pas à la hauteur, qu'il n'a pas la capacité nécessaire pour trouver ses propres solutions. Ce n'est pas ce que nous voulons transmettre à l'autre. Lorsque j'ai envie de donner des solutions à l'autre, si je prends le temps de me ressentir, je pourrai constater que je suis dans le "sauveur" parce que, inconsciemment, je ressens de l'impuissance. Si je m'arrête et que je prends le temps de ressentir cette impuissance, je redeviendrai un auditeur empathique et je pourrai vraiment aider l'autre. Je ne pourrai peut-être pas mesurer l'impact de mon intervention. Le lâcher-prise, ça vous dit quelque chose? Je donne le meilleur de moi-même, ici maintenant. Je m'observe. J'écoute ce qui se passe en moi, tout en écoutant l'autre. Même dans l'aide aux autres, la notion de performance est souvent présente!

Si vous avez de la dificulté, si vous êtes découragé, si vous avez perdu espoir et que vous hésitez à en parler autour de vous, je vous encourage à le faire. Nous sommes tous de belles personnes dont la valeur ne se mesure pas à l'état actuel de notre vie, à nos vêtements, à la marque de notre voiture, à notre compte de banque, au fait que nous ayons un partenaire amoureux ou non. Je vous invite à demander de l'aide, en toute humilité. Nous avons tous nos moments difficiles, en dépit des apparences extérieures.

Je vous souhaite la plus belle des journées!

Lily

P.S.: Que faire si je soupçonne qu'une personne de mon entourage envisage le suicide? Je vous transmets ici ce que l'on m'a appris à Suicide-Action, où l'on donne aux futurs intervenants une formation de 50 heures. D'abord demander à la personne "Est-ce que tu penses au suicide?" Si la réponse est oui, la question suivante sera" As-tu pensé à la manière dont tu le ferais?" Si la personne dit oui, on lui demande d'élaborer. À titre d'exemple, si la personne dit "Je me pendrais", on va lui demander "Avec quoi te pendrais-tu?" Si elle mentionne une corde, on va lui demander "Est-ce que tu en as une?" Si la réponse est oui, la question suivante est "As-tu pensé au moment où tu allais le faire?" Cette dernière question est d'une importance primordiale car elle permet d'évaluer l'urgence. Le mieux est de suggérer à la personne de téléphoner à Suicide-Action. Les gens évitent d'aborder le sujet, pensant que cela va encourager la personne à passer à l'action. C'est faux. En vérifiant, cela nous permet d'être dans la réalité, plutôt que dans l'imaginaire, donc dans la peur. Ou il y a urgence ou il n'y en a pas. Lorsqu'il y a un réel problème qui est identifié, on peut passer à l'étape suivante, qui est la recherche de solutions. Tant qu'on évite le sujet, on reste dans un malaise et on ressent de l'impuissance. Il y a beaucoup de personnes qui regrettent de ne pas avoir abordé le sujet directement avec un de leurs proches. Parfois, cela n'empêche pas la personne de passer à l'acte, mais à tout le moins nous pouvons nous dire que nous avons fait ce qui était en notre pouvoir. Chaque fois que j'agis ainsi, peu importe le résultat, je ressens une satisfaction à l'intérieur de moi.




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